
Comment continuer d’écrire mon histoire en Inde sans m’arrêter un instant sur ce que je vis en France depuis mon retour début 2018 ? En ce mois de novembre, nous venons une nouvelle fois d’être confinés pour cause de coronavirus/Covid-19 : non pas que je le vive mal, il me semble que d’essayer de faire face à l’épidémie passe certainement par cette mesure antipopulaire. J’assiste à tant de contradictions dans cette société que j’ai quittée il y a plus de quinze ans et qui m’est devenue si étrangère.
Tout le monde se plaint. Si quelque chose ne va pas, c’est toujours la faute à l’autre, plus personne n’a confiance en personne. La collectivité semble n’avoir que des droits et aucun devoir. Dès que l’on prive l’un ou l’autre d’un de ses jouets « à vivre » ou à « jouir », c’est une révolution, une révolte permanente. L’ambiance est lourde, non moins en raison de l’épidémie que du monde toujours mécontent, jamais satisfait de ce qu’il a. Même le risque de maladie, de mort, ne fait pas réfléchir.

Nous sommes donc repartis pour un confinement, de quelle durée ? Bien malin celle ou celui qui pourrait le dire. Pour ma part, je pense qu’un pire pourrait arriver, sur le plan épidémique, en raison d’une gestion complexe voulant tenir compte de tous les paramètres, ce qui, bien sûr, n’est pas possible. Il est des situations de gravité où les décisions, mêmes douloureuses, s’imposent. Or, personne ne veut s’y résoudre.
En France, on dénombre 1,5 millions d’infections et plus de 36 000 décès, dans le monde plus de 46 millions d’infections et 1,197 millions de décès. Et ces chiffres sont, à mon avis, inférieurs à la réalité dans beaucoup de pays, l’Inde en particulier. J’y ai vécu, je sais comment les statistiques sur le VIH Sida étaient réalisées. Ce qui peut limiter, voire éviter le pire, serait la mise en place d’une vaccination le plus rapidement possible. Mais nous n’en sommes pas là, pas avant milieu 2021. Alors que va-t-il se passer dans un monde où personne ne veut se priver pour le bien-être de l’autre ? Espérer que l’homme comprenne qu’il doit changer sa façon de vivre à tous les niveaux, à mon sens nous n’en prenons pas le chemin. A cette situation dramatique s’ajoutent le mécontentement généralisé dans tous les domaines et un corporatisme destructeur, alors que la solution passe par un partage fraternel : « Fraternité » comme la constitution française le dit, mais nous n’appliquons pas notre propre devise.

Et puis le fait Migrant, laissé « à la dérive » : fin 2019, plus de 60 % des Français se prononcent contre l’accueil de migrants sur le sol français, une inconscience dramatique. Depuis le début du procès « Charlie Hebdo », des agressions, des crimes se perpétuent en France, des crimes atroces qui ne font pas s’interroger en se posant la vraie question : « Pourquoi, où sont nos propres responsabilités ? » C’est davantage un rejet de l’autre, un rejet du musulman, de l’islam, du migrant, bref de « l’autre ». Or, ce n’est pas en rejetant « cet autre » que le drame des crimes passés, présents et à venir trouveront un début de solution. Ce n’est pas non plus en s’enfermant entre des murs « occidentaux » qu’une paix humaine reviendra.

La violence est le propre de l’homme, de l’humanité, elle est en chacun de nous, elle commence chez moi, c’est là que je peux dompter la violence. L’Ahimsa de Gandhi, la Non Violence, est claire, elle est le seul chemin pour ne pas aller vers un pire. La race blanche n’a aucune suprématie, ni culturelle, ni religieuse. Nous ne pouvons revendiquer de rester en paix dans nos certitudes qui, d’ailleurs, volent en éclats, qu’elles soient culturelles ou religieuses. Cette guerre religieuse que nous reprochons aux fanatiques de Daesh ou autres terroristes religieux, nous l’avons nous-mêmes vécue dans notre passé. En avons-nous tiré des leçons pour faire face à ce fanatisme destructeur religieux qui vient de l’Islam et que nous avons contribué à construire par nos guerres, nos actes barbares , colonialistes, post-colonialistes et néo-colonialistes, nos guerres contre l’Irak, complètement inutiles ?
Il m’est venu une métaphore pour dire ce que je ressens. En France, il est question d’islamophobie. Partant du fait que cette définition a quelque chose à voir avec la psychiatrie, j’ai pensé à la métaphore que Freud utilisait pour expliquer la névrose et l’inconscient. Il expliquait que le conscient, l’inconscient et le refoulé, c’est comme si nous étions à un spectacle et que nous ne laissions pas entrer l’intrus que nous avons laissé derrière la porte parce que dérangeant notre ordonnance, notre petite jouissance à assister au spectacle. Mais comme il est resté derrière la porte, il se fait entendre, il frappe fort, fait du bruit, perturbe notre bien-être au spectacle de la vie. Il n’y a pas d’autres solutions que de lui ouvrir la porte et de parlementer avec lui pour l’intégrer à notre vie et notre histoire, c’est ainsi que l’intégration du refoulement peut amener à une vie meilleure. Si la porte ne lui est pas ouverte, le symptôme, sous une forme ou une autre, prend le relais et le drame sera.
Il en est de même des migrants que nous ne devions pas refouler mais intégrer convenablement et avec cœur, d’autant plus que beaucoup sont des migrants de notre inconséquence. Si nous l’avions fait, nous serions plus forts et les problèmes ne se seraient pas aggravés. Quant au fait religieux, il a toujours été à la source et le prétexte de faire vivre l’agressivité humaine, il n’y a pas lieu que « çà » change. Est-il encore temps ? Je ne le sais, je pense de plus en plus qu’en raison du repli sur soi de tous les peuples, de toutes les nations, nous n’éviterons pas la case « catastrophes », nous en serons toutes et tous coresponsables. Nous sommes responsables de laisser une société si individualiste à nos enfants, nous leur laissons en héritage un monde à la dérive. Nul doute que l’humain saura rebondir, je veux le croire, mais au prix de combien de millions de vies ? Alors qu’avec un vrai partage fraternel, ce serait évitable, notre planète a largement assez de richesses pour que tout le monde puisse vivre correctement, sous condition d’un juste partage, que nous ne voulons pas.

Et puis les différences entre Occident et Orient, entre pays pauvres et riches, sont si abyssales qu’il ne peut y avoir de solutions si nous ne revoyons pas cette injustice. Quant à la question écologiste vue par l’Occident, par les pays dit riches, posée ainsi, elle est un faux problème : à quoi servirait-il que demain, en Occident, dans les pays riches, nous consommions raisonnable et local si le reste du monde a comme seule urgence de savoir comment manger ? Le vivre et consommer autrement ne peut se concevoir que si la planète entière est logée à la même liberté de vivre et à un plus juste partage des richesses. Alors une multitude de problèmes dits écologiques se régleront d’eux-mêmes. Partager les richesses est le meilleur moyen de faire de l’écologie. Il n’existe aucune race, aucune culture supérieure à une autre, il y a simplement une seule, elle est humaine, nous sommes tous des humains, quelle que soit notre couleur, notre religion, notre provenance accidentelle de venue dans cette vie. De cette seule collectivité « humaine », nous avons, de l’intérieur, à nous aimer et nous entraider. Ce n’est que sur cette action, cette vérité, que nous irons vers des solutions à l’échelle planétaire. Elles ne peuvent être qu’à cette échelle et pour tous les peuples ou alors il n’y aura pas de solution, seulement des drames.
Renversons et transcendons notre énergie agressive, présente en chacun de nous, pour nous détourner du risque réel de drames pour ordonner la vie à l’échelle planétaire. Alors le monde sera.
André Mâge