
En avril 2018, un peu plus d’un mois après notre retour définitif d’Inde, je vous disais : « Il faut savoir s’arrêter ». Puis, en août 2018, je vous écrivais « mon Espérance d’un futur actif pour celles et ceux qui en ont besoin ».
Où en suis-je aujourd’hui, après plus de quinze ans de vie en Inde, comme engagé social, mais aussi, ce qui est moins connu, de ma recherche intérieure ?
Où en suis-je d’un retour fracassant à la réalité européenne ?
Où en suis-je à l’heure du bilan lié à l’âge qui avance ?
Pourquoi être allé en Inde ? Pourquoi en être revenu ?
Je suis parti en Inde sur la base de mon utopie, « aider l’autre », je reviens en France avec cette même utopie d’aider l’autre.
En 2012, Catherine écrivait un texte, « Une Expérience Humaine : l’Atelier H3K ». Cette même année, je vous adressais mon propos « L’Entreprise Humanitaire : une Utopie ». Ces deux textes n’ont pas pris une ride : encore aujourd’hui, je revendique ce texte que j’ai rédigé en 2012 et qui m’apparaît être le cadre de ce qui m’a toujours poussé dans la vie à vouloir « être présent à l’autre ». Bien au-delà, ce texte est une approche de la vision de ce que pourrait être un fonctionnement social et économique d’une société à dimension humaine.
Je concluais mes dires ainsi : « Et si, par chance, cette recherche, à partir de l’objectif de servir l’homme, amenait à mettre en place une nouvelle économie à dimension humaine, réunissant l’esprit d’entreprise, la volonté et le désir de vouloir donner via le bénévolat ? Si ce chemin était celui d’un autre futur ? L’utopie d’aujourd’hui ne peut-elle pas être la réalité de demain ? L’entreprise sociale-humanitaire, une UTOPIE ? Peut-être pas ! »
Si, depuis mon retour, j’ai pu, à ma façon, revenir dans le détail sur les raisons de mon engagement en Inde ainsi que sur les effets d’un retour en France « fracassant », je garde enraciné au fond de moi la puissance de l’Utopie qui m’a guidé toute ma vie durant, « chercher et exister par et pour l’autre » : en ce sens, ce que j’écrivais en 2012 reste une Utopie et une réalité qui portent et continueront de façonner ma vie, ma « volonté de vouloir donner et redonner ».
Le dire peut aider, les autres et moi-même, à chercher avec d’autres une espérance et une action de vie qui nous dépasse pour le bien de toutes et tous.
Le retour à la réalité dans mon pays est l’une des démarches les plus dures que j’ai été amené à vivre dans ma vie : jamais je n’aurais pu imaginer que mon psychisme avait perdu pied avec la réalité qui, dans mon inconscient, en était restée au début des années 2000, soit presque 20 ans en arrière.
La découverte de « votre réalité » est terrifiante, pourtant elle se fait encore « pas à pas ». Je n’ai encore pas repris totalement contact avec elle, mais cette réalité me percute tous les jours et je ne veux pas m’y adapter. Jamais je n’ai senti une telle agressivité dans les propos, une telle violence à « fleur de peau » : je me croyais moi-même « violent » dans mes propos, mais à côté de ce que je découvre, ma « hargne » me semble dérisoire !
C’est cette situation qui m’angoisse le plus pour demain, pour les temps à venir, et pour les générations à venir. Cette violence est prête à émerger chez tout le monde : où peut aller un monde quand la violence prend le pas sur le désir de vivre et de partager pour se construire « ensemble » ?
Gandhi et d’autres nous l’ont dit : « La violence ne peut mener à rien », c’est un poison qui nous touche tous. Nous avons le devoir humain de tout faire pour la regarder et la dépasser. Rien ne justifie la violence ou l’agressivité, qui ne peuvent jamais construire, sinon détruire.
Je ne ressens plus de projets de vie autres que projetés vers soi-même.
Face à cette situation dégradée qui m’interpelle à chaque instant, quoi faire ?
Je ne puis me résoudre à ne rien faire ou à vivre une vieillesse « heureuse » (ce que l’on me conseille en me disant : « Tu as donné, profite maintenant !». Comme si je pouvais changer ce que je suis ! Alors je vais continuer dans la même veine de ce qui a porté ma vie, je vais essayer de mourir le plus heureux possible en me mettant à la disposition de mes proches, de mes moins proches, des inconnus qui en ont besoin. Un projet de fin de vie qui me rend heureux, à savoir que je vais encore et encore essayer d’apporter une petite espérance pour l’un et l’autre.
Concrètement :
- Je vais poursuivre, avec mes moyens, ma quête intérieure, peut être « coucher » sur le papier ce chemin que j’ai réalisé en Inde sur le plan de ma recherche intérieure et que ne connaissent que des amis très proches. Et puis être présent aux « miens » qui m’ont si peu vu auprès d’eux durant ces presque 20 ans. On ne répare pas l’absence mais on peut tenter de donner un nouveau sens, et pourquoi pas un renouveau.
- Avec Catherine, nous avons rouvert le magasin H3K. Il vend, au profit de l’Inde, les kalamkaris de ces femmes qui ont été un peu notre famille en Inde. Nous leur devons bien cela.
- Le centre médico-social de La Maison Bleue fonctionne avec Sambu, pour le temps qu’il faudra et tant qu’il le pourra. Il va continuer à suivre socialement et médicalement nos plus proches en Inde.
- Depuis le 1er septembre 2018, quatre femmes de l’atelier ont repris le Kalam, elles viennent de réaliser des kalamkaris merveilleux que nous pouvons vous proposer dès ce Noël 2018, soit au magasin H3K ou par correspondance. Avec Sambu et Catherine, nous étudions sous quelle forme l’atelier HKKK pourra continuer et, surtout, où et comment vendre ces kalamkaris qui permettent à ces femmes de se réaliser et de faire vivre leurs familles ? Toute aide est la bienvenue !
- En 2019, nous envisageons sérieusement la venue en France de Sambu, sans qui rien n’aurait été possible. Il viendrait lors d’une grande exposition et peut-être avec un maître de kalamkari et, pourquoi pas, une des femmes de l’atelier HKKK.
- En 2019 ou 2020, Catherine, moi-même, les deux ou un seul, nous irons en Inde ; aujourd’hui j’en serais incapable.
- Je continue d’être présent pour mon Grand Frère Gaston qui gère ICOD près de Calcutta. C’est l’homme de « La Cité de La Joie ». Je l’aiderai dans sa tâche à la hauteur de mes possibilités. Il a donné sa vie pour l’Inde des pauvres et des démunis et, avec près de 200 personnes, pauvres parmi les pauvres, il gère ce que j’ai pour habitude d’appeler « L’Arche de Gaston ».
- Migrants : dans le numéro du mois d’août 2018, je vous présentais mon désird’être interactif pour l’aide que je peux apporter aux « migrants » : j’ai essayé avec plusieurs organisations, ce n’est pas simple. Pour aider l’autre, pas besoin d’organisation puisqu’ils sont à nos portes. Cela a été une grande joie, un grand succès d’avoir trouvé du travail à un jeune Afghan de 23 ans, avec un logement en face de chez moi (il me fait coucou depuis la fenêtre). J’ai également pris « en accompagnement » Sekou, un jeune garçon en provenance de la Côte d’Ivoire, arrivé par la mer depuis la Lybie fin 2017 avec une balle logée dans la jambe (il doit se faire opérer). Il a perdu sa sœur en Lybie. Un début prometteur ! Dans le magasin H3K, une fois par semaine, Catherine va démarrer des cours de français. Dans le cadre de notre quotidien, nous allons tenter d’intégrer, d’aider et d’être présents pour ces personnes qui ont tant besoin d’aide dans leur parcours dramatique.
Si d’autres faisaient simplement comme nous, le problème « migrant » serait derrière nous et nous aurions obligé les femmes et hommes politiques à prendre en charge sérieusement ce problème grave pour l’avenir du monde. Eviter le repli sur soi, en France ou ailleurs, et le risque majeur de drames pour les générations qui nous suivent.
Les anciens que nous sommes, qui avons été des privilégiés, doivent, d’une façon ou d’une autre, redonner, partager ce que nous avons eu la chance de recevoir, sous une forme ou une autre. A chacun de trouver comment et quoi.
Nous allons continuer, Catherine et moi, le plus simplement possible, de faire ce que nous faisions en Inde : essayer d’aider et d’aimer l’autre, quel qu’il soit, s’il le veut et s’il en a besoin.
André Mâge
Merci pour cet article ! Merci de faire ce que vous faites et de montrer que : OUI ! Le « combat » pacifique, humain et intelligent est possible !