Vivons-nous dans le déni ou sommes-nous devenus sourds et aveugles ?

Débarquement d’un bateau aux Canaries pendant que les blancs bronzent…

Un ami très cher vivant en Inde me disait il y a peu «Le monde n’a pas changé, il est devenu meilleur, malgré les fous au pouvoir». Il connaît ma tendance à la révolte face à l’injustice, nous échangeons sans complaisance depuis plus de 10 ans. Ses mots m’ont mis en méditation et en longue réflexion. Suis-je un pessimiste chronique ? Suis-je un prophète de malheurs ? Ne suis-je capable de ne voir que ce qui ne va pas et ne pas pouvoir voir le beau et le bon ? Pour tenter d’y répondre je vais aborder différents thèmes relevant de mon expérience ou de mon observation.

 « LE VIH / SIDA EN INDE »

Infectée à la naissance…

Je suis dans le concret et dans l’expérience de terrain que je vis depuis 2005, immédiatement après le tsunami. En 2005, sur la base d’une étude approfondie de hauts responsables de l’Andhra Pradesh il était écrit, reconnu et dit que le VIH/SIDA était un fléau terrible, les chiffres donnés étaient de 5 153 221 personnes infectées en Inde et plus de 500 000 pour le seul AP. Toujours à cette même époque, seule la trithérapie de première génération commençait seulement à être remise et dans des conditions indescriptibles, les conditions d’éligibilité à l’ARV étant d’avoir un CD4 inférieur à 200 et une maladie infectieuse reconnue. Autant dire qu’il fallait être aux portes du cimetière. Cette situation a perduré plus de cinq ans avant que les conditions d’attribution s’améliorent.

Pauvres parmi les pauvres…

En 2008, l’Inde, suivie par l’OMS et l’ONU/SIDA, annonçaient un résultat très positif de la lutte contre le VIH avec un total d’un peu plus de 2 millions de personnes infectées. Un déni et un mensonge. Jamais, depuis 2005, une étude sérieuse n’a été publiée. En 2018, l’Inde reconnaît pour l’année 2016 2.1 millions de personnes infectées sans aucun rapport précis. Dans nos deux dispensaires/hôpitaux qui luttent contre le fléau, nous avons pris en charge depuis 2005 un total de 1 400 personnes infectées, 420 personnes ont disparu de la circulation ou sont décédées,  320 de nos patients sont décédés alors que nous les suivions (soit 23 %), taux largement supérieurs si on tient compte des personnes qui ne viennent plus. Et nous suivions, à fin novembre 2017, un total de 660 personnes infectées. Prenez un peu de temps pour étudier en détails ces chiffres qui, à eux seuls, montrent le drame et le déni des instances nationales et internationales. Pour ce Noël 2017, le responsable du centre VIH/SIDA d’un des deux districts avec qui nous travaillons est venu présider notre fête avec les patients, il me disait que les instances de l’état refusaient les chiffres que son service transmettait, l’obligeant à refaire des chiffres correspondant à ce qu’ils veulent publier ; il me disait que la probabilité qu’en Inde, le nombre de personnes infectées soit supérieur à 20 millions est une hypothèse réaliste, ce qui a toujours été mon avis. Nous travaillons sur deux districts qui, officiellement, annoncent 40 000 personnes infectées. Le nouvel état de l’AP a une population de 50 millions de personnes et 13 districts : en prenant une moyenne de 20 000 personnes infectées, on arrive à 260 000 infections par VIH, soit une prévalence de 0,52 %. Et nous ne parlons pas des infections non détectées qui s’ajoutent par milliers à ces chiffres trafiqués. Le 2 décembre 2017, le journal national THE HINDU publiait un texte concernant la situation alarmante du Karnataka (une des régions les plus riches de l’Inde et la plus cultivée, que l’on appelle la Silicone Valley, avec sa capitale Bangalore). The Hindu annonçait un chiffre de 311 000 personnes officiellement infectées et des moyens totalement insuffisants pour traiter ces patients ; le Karnataka a une population de 64 millions d’habitants : si on rapporte ces chiffres, nous arrivons à une prévalence de 0,52 %. L’Inde possède une population de 1.3 milliard d’habitants dont 50 % ont moins de 25 ans. Si on applique ce chiffre de prévalence de 0.5 % (qui est bien en-dessous de la réalité des chiffres réels), on arrive à un total quasi officiel de 6,5 millions de personnes porteuses du VIH et non plus 2,1 millions comme le prétendent l’Inde, l’OMS et l’ONU/SIDA. Et nous sommes là dans l’hypothèse la plus basse qui part de chiffres tronqués à la base et qui ne tiennent pas compte des personnes non détectées. Alors oui, n’importe qui dirait que la situation est meilleure. On donne maintenant davantage d’ARV, parfois même de seconde génération, mais les moyens sont totalement en-dessous de la réalité du fléau….

Pauvres à cause des riches…

Alors le monde va-t-il mieux dans ce domaine ? Ma réponse est sans appel, NON ! On est dans un déni organisé, voulu et des chiffres manipulés, car sauver les millions et les millions de personnes infectées reviendrait beaucoup plus onéreux que de les laisser mourir. Alors, c’est la situation du «sauve qui peut !». Dramatique et terrible… et c’est notre monde. On pourrait ajouter la malnutrition qui tue 9,1 millions de personnes par an, soit 17 individus chaque minute qui passe (Planetoscope), comprenant 3,1 millions d’enfants de moins de 5 ans, dont 1 meurt toutes les 10 secondes (Planetoscope). On pourrait parler aussi de la tuberculose, dont tous les médicaments et vaccins existent depuis les années 1950, mais qui fait 1,7 million de morts par an, soit 1 personne toutes les 19 secondes (OMS et Planetoscope). La liste serait sans fin. Alors je vous laisse juge : le Monde, notre Monde va-t-il mieux ? Pour ma part, jamais les injustices n’ont été aussi criantes et indécentes, alors qu’il suffirait de si peu pour sauver ces millions et millions qui meurent chaque année, faisant plus de morts que toutes les guerres réunies depuis plus d’un siècle. Il est bon aussi de savoir que tous les chiffres officiellement publiés dans le monde sont toujours en-dessous des réalités.

Officiellement, concernant le VIH/SIDA, une personne meurt toutes les 20 secondes dans le monde (OMS/ONU/SIDA/Planetoscope).

En file indienne pour recevoir la trithérapie.

« PAUVRES PLUS PAUVRES ET RICHES PLUS RICHES »

La richesse mondiale a augmenté de 68 % en dix ans (janvier 2016) :

8 personnes au monde, ultra-milliardaires, détiennent à elles seules autant que la moitié des habitants les plus pauvres de notre planète, soit autant que 3.8 milliards d’habitants. SCANDALEUX (Challenges, 16.01.2017).

1% des plus riches possède autant que 99 % du reste de la planète… DRAMATIQUE (Le Monde Economique, 19.11.2015).

80 % de la population mondiale (soit 6.1 milliards de personnes) se partagent 5.5 % des richesses mondiales. INACCEPTABLE.

20 % de la population mondiale (soit 1.52 milliard de personnes) monopolisent plus de 94 % des richesses du monde (RTBF.BE, 18.01.2015)… et en France, nous sommes de ceux-là.

Selon le rapport OXFAM, janvier 2015, dont voici le lien pour obtenir le PDF :

https://www.oxfam.org/sites/www.oxfam.org/files/file_attachments/ib-wealth-having-all-wanting-more-190115-fr.pdf

 «INSATIABLE RICHESSE : TOUJOURS PLUS POUR CEUX QUI ONT DÉJÀ TOUT

Les richesses dans le monde se concentrent de plus en plus aux mains d’une petite élite fortunée. Ces richissimes individus ont bâti et fait fructifier leur fortune grâce aux activités et aux intérêts perçus dans quelques secteurs économiques importants, notamment la finance, l’industrie pharmaceutique et les soins de santé. Les entreprises opérant dans ces secteurs dépensent chaque année des millions de dollars en lobbying afin d’établir un environnement réglementaire qui protège et renforce leurs intérêts. Aux États-Unis, les activités de lobbying les plus prolifiques se concentrent sur les questions fiscales et budgétaires, autrement dit sur les ressources publiques qui devraient bénéficier au plus grand nombre, et non servir les intérêts de puissants groupes de pression.» OXFAM JANVIER 2015

«Le creusement des inégalités est aussi dû aux technologies de l’information, de la communication, de la robotisation, de l’importance de l’économie des services.» Le Figaro, janvier 2018.

Bill Gates, le patron de PayPal et Stephen Hawking disaient il y a quelques années : «L’intelligence artificielle non maitrisée peut être pire que toutes les bombes atomiques.»

Il attend son ARV avant de retourner à l’école…

Et Albert Einstein nous disait déjà :

«Il faut prévenir les hommes qu’ils sont en danger de mort, la science devient criminelle.»

«Il est hélas devenu évident aujourd’hui que notre technologie a dépassé notre humanité.»

« Les nouveaux conflits, les nouvelles guerres, la nouvelle géopolitique, les migrants» :

Sur ce sujet aussi, il y aurait tant a dire. Retenons simplement ceci :

– jusqu’à la première guerre mondiale, 15 % des victimes des conflits sont des civils.

– à partir des années 1990, plus de 90 % des victimes des conflits sont des civils (Amnesty International).

Et que dire du marché de l’armement ? Jamais notre planète n’a été autant surarmée, l’industrie de l’armement, légale ou illégale, tenant une place prépondérante dans toutes les économies.

L’exode des migrants, à nos portes aggravé par des politiques d’extrême-droite et notre surconsommation, est un drame absolu. Cet exode ne pourra qu’augmenter dans les années à venir. Ne pas les recevoir, c’est préparer le pire.

Les hôpitaux de demain…

CONCLUSION

 Le monde va-t-il mieux ou moins bien ?

La question se pose-t-elle ainsi ? Il nous a fallu 200 000 ans pour atteindre 1 milliard d’humains. Puis 200 ans seulement pour arriver à 7 milliards. À la fin du XXIème siècle, nous pourrions être 11 milliards d’humains sur terre. Peut-on comparer ce qui était en l’an 1 où la population était de 230 millions, avec l’année 1500 et ces 920 millions et aujourd’hui avec plus de 7 milliards d’habitants ?…

Rien ne peut être comparé… sinon que l’homme est tout autant injuste, égoïste, individualiste et le plus souvent inhumain…

Selon ma propre observation, je pense que si, dans les années à venir, l’homme ne se ressaisit pas rapidement, le pire est à craindre.

Seul un réel désir de justice et de partage peut encore sauver notre monde.

Pour cela, nous devons maîtriser les nouvelles technologies qui nous sont imposées pour faire de l’homme un robot sans âme et sans cœur.

Y arriverons-nous ? Rien n’est moins sûr et les signaux actuels sont tous au rouge.

 André Mâge

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