Que faisons-nous de notre humanisme ?

Dans quelques semaines, je serai reparti en Inde pour plusieurs mois, comme tous les ans. Pour y faire quoi ?

Pour y fermer l’un de nos deux hôpitaux / dispensaires qui luttent contre le VIH / SIDA depuis plus de dix ans… Quel  échec !

Ayant toujours essayé de construire,  quelle souffrance et quel échec de devoir abdiquer et accepter cette situation !

En 2005, lorsque nous avons commencé avec Sambu, puis plus tard avec Catherine et d’autres, notre enthousiasme dans le combat face au fléau était tel que nous étions CERTAINS que notre travail et notre volonté de collaborer avec les instances nationales indiennes et internationales allaient entraîner des résultats extraordinaires.

Nous avions faux sur toute la ligne.

Si notre action médico-sociale permet et a permis de sauver des vies, AUCUNE collaboration n’a pu se mettre en place, ni avec les structures nationales indiennes, ni avec les organismes et organisations internationales. C’est même le contraire qui se passe, notre action et nos interventions dérangent les instances nationales et internationales, les faisant voir ce qu’il serait et aurait été possible de faire… et qu’ils ne font pas.

Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Nous sommes allés à New York pour visiter l’ONU / SIDA  tandis qu’en France, en Europe et en en Inde, nous avons contacté et visité tout ce qu’il était possible de faire, sans aucun résultat.

POURQUOI ?

Concernant les structures nationales indiennes et les organismes internationaux (ONU, UNICEF, etc.), l’approche de ce drame et de tant d’autres est terriblement superficielle et très loin des réalités du terrain. Ces structures font le minimum, refusant de voir, pour des raisons politiques et de confort, les solutions qui aboutiraient réellement. Nous savons qu’avec un suivi sérieux, le VIH / SIDA serait en voie de disparition s’il y avait une volonté globale des acteurs de terrain et des pays riches. Mais cette volonté est inexistante. Et tous les colloques de «  savants » ou les effets d’annonces ne servent à rien, sinon à tromper le monde qui se complaît dans la position de ne pas savoir la réalité.

Les responsables de la globalisation et de la mondialisation n’ont aucun regard «  de cœur »  vers les millions et les millions de personnes qui vont mourir dans le monde du VIH/SIDA ( 1 personne en meurt toutes les 30 secondes ), de la tuberculose ( 1 personne en meurt toutes les 18 secondes alors que tous les médicaments existent depuis le début des années 1950 , vaccin et antibiotiques), de la malnutrition ( 4,1 millions de personnes en meurent  chaque année dont un enfant de moins de 5 ans toutes les 10 secondes) ou de tous ces morts dûs aux guerres que nous provoquons, directement ou indirectement…

Les peuples sont tout autant responsables que leurs dirigeants, et encore plus les peuples occidentaux qui  consomment 80 % des richesses de la planète…

Voici un texte du Docteur Albert Schweitzer (1875–1965), Prix Nobel de la Paix, qui dit mieux que moi ce que je pense.

Avec le staff, Sambu, Catherine, nous avons réfléchi durant des mois aux possibilités… Nous n’avons pas d’autres choix que de regarder la réalité en face et de fermer un hôpital, faute de moyens humains et financiers en Inde et en France.

Nous fermerons un hôpital pour avril 2018 et concentrerons (pour combien de temps ?) notre activité sur le seul centre de Kavali, tout en maintenant l’atelier HKKK pour fabriquer les Kalamkaris qui nous permettent de vivre,  ainsi que le programme scolaire des enfants.

C’est  une réelle déchirure qui oblige à regarder la réalité si dramatique et d’y répondre au mieux.

Au cours de ces quelques mois passés en France, je me disais que faire et vouloir faire se solde toujours par un échec si l’on refuse de faire l’angélisme.  Ces derniers mois, j’ai parlé, regardé et observé mes concitoyens. Je les ai regardé vivre, ils vivent comme de grands enfants gâtés, comme s’ils jouaient à la « dinette » et s’achetaient des jouets pour adultes, fuyant ainsi les réalités qu’ils ne veulent ni voir, ni assumer… En discutant un peu plus avec eux, je me suis rendu compte que tous arrivent à la conclusion que la situation est grave, mais ils disent, en boucle, « mais que peut on faire » ?

Pourtant, tous savent que nous préparons, dans tous les domaines, une catastrophe humaine pour les générations à venir. Et pourtant, nous laissons faire et nous continuons de jouer aux grands enfants gâtés que nous sommes.

Le monde se moque autant des personnes atteintes du VIH / SIDA dans les pays ou régions pauvres qu’il se moque totalement des migrants qui meurent tous les jours à nos portes en pleine mer où nous allons nous faire  bronzer et où nous allons en croisière… Je vis cette indifférence des peuples européens comme un drame terrible. Nous sommes coupables d’un crime contre l’humanité en laissant faire comme si de rien n’était. Alors que nos pays « tournent » pour l’essentiel avec des étrangers et des personnes issues de l’immigration (hôpitaux, restauration, hôtellerie, bâtiments et travaux publics, etc. ), un paradoxe terrible que nous refusons de regarder.

Le monde ne peut pas continuer ainsi. Que dire de la consommation artificielle, de l’écologie et de la destruction de notre planète pour des questions de rentabilité, des guerres ou conflits d’intérêts,  gérés par nos pays dit «  riches ».

Le monde est en marche vers un pire et nous laissons faire.

Si vivre est accepter l’échec, vieillir est accepter le naufrage de partir en voyant et en regardant l’horreur d’un monde construit sur des valeurs inhumaines.

C’est donc chargé de toutes ces souffrances devant l’échec humain que je repars en Inde continuer mon engagement, à contre-courant. Tant d’hommes et de femmes, disposant de plus de moyens que moi, pourraient le faire. Le monde serait alors un peu plus humain.

L’AMOUR, LA PAIX, ne sont pas innés, cela se construit, comme nous le disait le Docteur Albert Schweitzer.

André Mâge, le 23 juillet 2017

3 thoughts on “Que faisons-nous de notre humanisme ?

  1. Tout cela est juste lucide.Toi André, ton œuvre, ne pouvez plus qu’espérer être l’exemple que l’on contemple, qui relie simplement parce qu’existant, parce que réel. Entre « être occupé » et « se divertir », il n’y a pas toujours un très grand écart. Dit autrement, nous sommes tous esclaves, prisonniers de la chaîne du travail dont le cadenas est le divertissement « bien mérité » et dont la possibilité d’une clef est disparue, oubliée. Tu as pu et tu as su te libérer de cette chaîne et entrer à fond, comme tu sais le faire cher ami, dans une cause qui te dépasse forcément, puisqu’enfin un jour tu dois bien mourir. Non pas David contre Goliath, mais le plus petit insecte, plus petit qu’une fourmi encore, contre un monstre qui broierait d’un simple regard des armées de Goliath. Mais nous savons toi et moi que le problème de l’échec n’est pas dans la différence de puissance. Nous savons qu’elle est dans l’absence totale de cohésion entre tous ces moucherons infimes que nous sommes, armée formidable qu’un seul souffle disperse et perd, juste parce qu’elle n’a pas conscience d’elle même.

    Je t’aime, André le Droit, André le Tenace. Je ne peux que te dire continue comme tu le peux, mais aussi, parviens à en sortir avant de ne plus pouvoir penser à toi, qui doit perdre la terrible amertume qui accompagne la trop grande lucidité, qui doit trouver la paix, peut être pour faire un bilan net et profond, distancié de toute cette difficulté que tu affrontes tous les jours sans relâche. Tu ressembles à une espèce de Don Quichotte, non pas, comme on le pense automatiquement parce que ta cause serait une folie (des moulins à vents), mais par sa solitude et par l’engagement vital, total qu’il met à sa tâche, cette grandeur fraiche et naïve qui est l’objet de l’ouvrage de Cervantès, grandeur qui se dilue inéluctablement chez mes contemporains, bien trop puissamment guidés par la radicale fausseté, factuellement organisée à l’échelle planétaire, du médiatique devenu monstre (à la fois monstrateur aveuglant et monstrueux). Je nomme ici la guerre de notre époque, la guerre de quatrième génération en géopolitique (G4G), dont l’instrument est la communication, qui est une guerre de quelques uns contre tous et qui ne se résorbera pas sans être un jour reconnue pour ce qu’elle est. Tu le sais, André, être devant les gouvernements et les organisations, c’est être devant les ramifications profondes de cet ennemi informe, précisément. Le combat est inégal justement parce qu’on a pas l’impression qu’il y ait un ennemi en face…

    Mathieu

    1. Merci Mathieu pour cette analyse globale qui voit et sent juste. Il m’en aura fallu du temps et des amis pour reconnaître que nous ne pouvons qu’échouer face  » aux structures monstrueuses  » de tout ordre dont tu parles si bien. Je l’ai maintenant accepté et intégré. Mais cet échec il faut aussi maintenant que je l’intègre concernant ma propre vie personnelle, là aussi nous échouons car nous sommes hommes et femmes pétris d’ego pathologique ( un ego peut il être autre chose que pathos ? ) et c’est certainement le plus difficile à regarder et accepter car cet ego qui ne nous quittera jamais jusqu’à notre mort demandera toujours à être satisfait d’une façon ou d’une autre, soit par le besoin pathos ou simplement l’homme qui croit, à tort , qu’il va pouvoir faire qcq. Il y aurait tant à dire à tout ce que tu livres…mais toute mon attention est retenue par cette phrase de ton texte :

       » parviens à en sortir avant de ne plus pouvoir penser à toi, qui doit perdre la terrible amertume qui accompagne la trop grande lucidité, qui doit trouver la paix, peut être pour faire un bilan net et profond, distancié de toute cette difficulté que tu affrontes tous les jours  »

      Là aussi tu touches juste….j’en suis là, à essayer de trouver une certaine paix sans y parvenir, à la fois par la difficulté énorme à accepter cette réalité extérieure que je souhaiterais tant parfois ne pas voir aussi lucidement, mais aussi et surtout par mon ego qui continue encore et toujours à faire des siennes, persuadé qu’il est que c’est possible, et de fait produisant le contraire de ce qu’il cherche, le tout entraînant une dualité intérieure toujours active.

      Est il possible de préparer sa  » sortie « , sa  » mort  » avec sérénité et dans la paix ?

      J’en suis pas certain et pourtant je le souhaite si souvent épuisé de mon parcours, certainement dicté par mon ego, mais aussi, j’en ai la certitude, par autre chose qui me dépasse, par la suppression du cadenas à ma chaîne comme tu le dis si bien.

      Oui j’aspire à trouver cette paix qui me permettrait de regarder ma vie à distance, et ton appel à le faire me renvoie au risque de ne pas y parvenir et de finir dans la souffrance parce que n’ayant su ou pu me détacher de tout.+

      Merci Mathieu de ce partage, et d’avoir très bien perçu ce que je voulais dire en parlant d’échec au point de l’expliquer beaucoup mieux que je ne sais le faire.

      OM SHANTI OM

      Disent les Hindouistes

      André

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