
J’ai trouvé beaucoup mieux placé que moi pour vous parler de la situation en Inde, de l’engagement de terrain et de ce qui peut porter une telle démarche.
Gaston Dayanand, 45 ans d’Inde dans les milieux les plus pauvres et les plus dramatiques, naturalisé indien, Frère de l’Institut du Prado, il a travaillé comme docker et dans les aciéries de Saint-Denis.
Il agit en partenariat avec Dominique Lapierre 1 et son épouse Dominique Lapierre 2, depuis environ trente ans. L’engagement des Dominique Lapierre en France pour l’Inde n’est plus à raconter, il suffit de lire « La Cité de la Joie » ou de visiter leur site (voir le lien ci-dessous).
J’ai la chance, la grâce, de partager et d’être en fraternité avec Gaston, un privilège énorme pour guider mes pas dans cet Andhra Pradesh où la solitude est parfois lourde.
A la suite de son texte sur l’Inde, qui n’est qu’une partie de sa chronique, j’ai sélectionné quelques lignes de sa vision spirituelle.
C’est un sujet dont je parle peu, ne sachant comment le faire et n’étant pas qualifié pour cela. Mais je pense que beaucoup de celles et ceux qui me connaissent savent que si je n’avais pas « La Certitude du Divin Amour » rivé en moi, si je n’étais pas porté par cette certitude, JAMAIS je n’aurais la force de faire ce que je fais et vis ici en Inde.
Comme je suis à 99,99 % en phase avec ce que dit mon Frère Gaston, je le laisse dire ce que je vous dirais moi-même si je savais le faire aussi bien que lui.
André Mâge, engagé en Inde en Andhra Pradesh auprès des personnes pauvres infectées par le VIH/SIDA.
Extraits de la chronique d’août 2016 de Gaston Dayanand, Frère du Prado vivant en Inde depuis 45 ans. Fondateur, entre autres, de ICOD (Centre interreligieux) qui accueille les destitués, les rejetés, les plus pauvres parmi les pauvres (voir lien ci-dessous).
«L’Inde est le seul point lumineux dans la sombre économie du monde d’aujourd’hui »
Cette assertion, en soi brillante, du Directeur de la Banque Mondiale au début août 2016 est certes un tribut à la persistante grimpée de l’indice de croissance du pays dépassant et de loin avec ses 8 % +, pas seulement presque toutes, mais toutes les économies du globe, y compris la chinoise qui avait été le moteur du développement mondial jusqu’en 2014, mais qui a non seulement ralenti, mais encore plongé depuis la fin de l’an dernier.
Il y aurait de quoi être bien fier – et nos dirigeants ne manquent pas de gonfler leurs poitrines comme des pigeons boulants primés – oubliant que la bonne santé actuelle dépend en grande partie de la baisse record du prix du pétrole mondial qui règle notre planification, et l’élan donné par la gestion du gouvernement précédant durant dix ans.
Mais l’oubli majeur n’est pas là, et nous qui sommes travailleurs sociaux au niveau des lotus le savons bien.
Car seulement environ 200 (ou 300 millions de la population si l’on veut !) bénéficient réellement de cette manne. Mais qu’en est-il du milliard restant ?
Et qui donnera une activité salariale à ce million de jeunes qui, chaque mois, arrivent sur le marché du travail ?
Oui, qu’en est-il de l’armée des jeunes diplômés cherchant en vain du travail et n’ayant que la solution de s’expatrier, de l’inflation touchant essentiellement les besoins primaires (nourriture,…), de l’absence de facilités médicales dans le monde rural, du gaspillage effrayant des récoltes même après une bonne mousson, de la corruption rampante touchant toutes les couches de la société, de la police n’ayant pour loi que de briser la loi en sa faveur, du judiciaire qui, bien que sauvant l’honneur par son honnêteté, a des dizaines de millions de jugements en retard (35 millions exactement), faisant qu’une plainte ne sera répondue qu’entre 15 et 20 ans plus tard, remplissant les prisons de gens souvent innocents en se basant sur une incroyable jurisprudence datant des British du début du… XIXe siècle, de l’incapacité de l’administration d’exiger de ses fonctionnaires un intérêt et une efficacité minimum pour la chose publique, de la malnutrition représentant le quart du nombre des pauvres du monde et qui place l’Inde en 67ème position des 80 pays les plus industrialisés, juste après la (sic) Corée du Nord et le Soudan du Sud !
La malnutrition, bien qu’elle ne signifie plus famine, touche 20% des citoyens, dont 60 % des Dalits (ex-intouchables) et 37 % des aborigènes et plus d’un tiers des enfants de moins de cinq ans.
Il est certain que d’étonnants progrès ont été réalisés depuis dix ans mais, en-dehors des villes, on ne se rend guère compte de cette réalité choquante.
Certes, en dehors des universitaires, la plupart des jeunes peuvent trouver un travail, ou petit métier, mais jamais assez pour nourrir suffisamment leurs familles. Car les salaires, en dehors de ceux mirifiques des millions de fonctionnaires, sont extrêmement bas et permettent juste de vivre, bien que pas décemment et ne peuvent éviter la sous-alimentation chronique des femmes et des enfants en bas âge.
Le stupéfiant est que tout salarié reste un privilégié face aux paysans ou ouvriers agricoles qui eux, n’ayant aucune certitude d’un travail régulier, forment la majorité des familles mal nourries ou en simple survie.

On pourrait illustrer cela par les salaires offerts par ICOD. Nous sommes une des nombreuses ONG essayant de sauver les gens, soit de la détresse sociale, psychique, physique (handicapés), morale, voire parfois spirituelle (en Inde, c’est une des pires calamités, dont les lépreux par exemple sont touchés: plus de caste ou de religion, plus de dieux !), soit d’un trafic quelconque (prostitution pour les filles et même jeunes garçons), soit enfin d’un rejet familial (orphelins ou vieillards).
Comme nous ne pouvons guère travailler sur un capital renouvelable, on doit avoir recours à l’aide d’autrui, le gouvernement n’étant guère concerné par ces gens qui ne sont pas des votants « rentables ».
Que ce soit en Inde ou à l’étranger, le problème reste le même pour les salaires. Un bon cœur veut nous aider et envoie 100 euros. Nous devons automatiquement prélever, disons 15 euros pour les salaires de ceux qui travaillent avec nous. Tout le monde comprend cette nécessité.
Mais comme nous devons indexer nos salaires sur le minimum moyen, nous constatons qu’il n’est pas suffisant pour élever décemment une famille. On nous le reprochera. Il faut donc augmenter. On prélèvera alors 25 euros, soit un quart de la somme reçue.
Certains donateurs hésiteront alors, car «j’ai donné 100 euros pour les plus pauvres, je ne vois pas pourquoi le quart va à d’autres». D’autres comprendront et continueront.
Mais viendra un jour où il faudra appliquer la justice que le droit de la personne humaine réclame.
Alors, il nous faut doubler les salaires, puisque nous n’offrions que 4000 roupies par mois alors que pour élever décemment une famille, il en faut 8000.
Fort bien. Mais alors le prélèvement touche 50% de la somme donnée, ce qui devient problématique non seulement pour nous, mais pour beaucoup de bienfaiteurs. Et avec quelque raison. Mais ce n’est pas fini, car il faut vivre avec notre époque, et nous ne pouvons plus travailler qu’avec ceux qu’on appelle des « volontaires » mais qui sont sous-payés. Il nous faut suivre la loi, et chercher et payer des professionnels.
D’où les crises inévitables. Il y a ceux et celles qui, comme moi, ont toujours favorisé les aides de masse et avec des travailleurs sociaux dont la qualification est avant tout d’être dévoués et efficaces à leur niveau (bonté, compassion, connaissance du terrain, des cultures, des familles, des problèmes des plus pauvres) et expérience (une fille avec des années d’expérience sur le terrain médical est infiniment plus efficace qu’un jeune médecin élevé en milieu urbain, telle Sukeshi par exemple), voire même en responsabilité supérieure (peu de diplômés sont capables de faire tourner un centre d’handicapés, de déshérités, de lépreux, de filles abandonnées de façon aussi efficace que Gopa à ICOD, Kamruddin à UBA ou Elena à Howrah South Point,…).
Il y a ceux et celles qui veulent à tout prix commencer avec des diplômés et des gradés académiques. Et cela tourne effectivement infiniment mieux… administrativement. Mais après dix ans, où sont ces magnifiques exemples d’ONG qui en général disparaissent faute de donateurs, les coûts étant trop élevés au vu des résultats, remarquables, certes, mais pour la petite minorité qui de toute façon s’en sortirait fort bien sans eux ?
Je ne parle pas ici des grandes institutions religieuses chrétiennes (Jésuites, Don Bosco, Ramakrishna Mission hindouiste car elles tournent par leur clergé ou Sœurs toujours renouvelable à l’infini ou même musulmanes Soufies).
Evidemment, toutes ces institutions commencent par des orphelins et passent rapidement, si rapidement hélas, à servir les classes supérieures !
On est alors bien loin des « évangiles » de Jésus ou de Ramakrishna et Vivekananda voire de Bouddha.
Mère Teresa est l’exception parfaite, dont les Sœurs viennent par exemple de refuser de donner leurs enfants abandonnés à l’Etat, refusant les conditions d’adoption que la loi vient d’imposer !
Nous en sommes là aussi aujourd’hui à ICOD, où, pour obtenir la Licence obligatoire, il nous faudrait littéralement disperser les plus malheureux de nos pensionnaires qui ne répondent pas aux critères, et n’utiliser que des professionnels au salaire standard et scandaleux de l’Etat.
Vient donc un jour où les donateurs s’épuisent et refusent, et les organisateurs doivent plier bagage, pour laisser au dragon mondial le droit d’exercer sa primauté monétaire et consumériste qui consumeront en vérité les plus malheureux et les condamneront au silence et à l’inexistence des sans voix, sachant que même leurs porte-voix se seront fait museler et auront peut-être même cessé d’exister.

C’est notre fierté dans les ONG aidées par Dominique Lapierre et la Fondation DLCJF de tenir encore dans la première catégorie des descendants des pionniers qui ont suivi les premiers fondateurs d’organisations sociales en Angleterre par des protestants au XIXe siècle et en France, notamment juste dans l’après-guerre en 1946, en parallèle avec celles qu’avaient fondées Vivekananda, Sister Nivedita, Gandhi et tant d’autres en Asie au début du XXe siècle.
Ce temps n’est plus. Il nous faut en accepter le fait et passer la main, mais à qui ?
L’Etat nous la tend, mais dans des conditions impossibles.
Et jamais pour les plus pauvres.
Les ONG occidentales ? Elles deviennent de plus en plus administratives et exigeantes… suivant disent-elles les lois de Bruxelles, qui ont littéralement créé le Brexit et s’intéressent de moins en moins aux plus paumés.
Elles veulent des résultats dont elles puissent être fières aux yeux de leurs sponsors, souvent des organismes d’état. On ne peut plus guère leur en montrer !
Pas étonnant puisque ces dernières sont elles-mêmes les dents du dragon!

En conclusion, il nous faut accepter que certains salaires augmentent, surtout les plus petits. Et il faut même accepter que notre administration ne soit pas, ne puisse pas, être égale aux grosses ONG qui utilisent à plein temps leurs professionnels.
C’est ceci ou cela, mais pas les deux à la fois.
Des drames se préparent donc, et il faudra très probablement que les donateurs prennent l’habitude de traiter avec des inconnus qualifiés à la tête d’ONG, plutôt qu’avec des travailleurs dévoués qui sont devenus des amis mais qui sont désormais pratiquement hors-jeu.
Les bienfaiteurs en tireront les conclusions qui s’imposent et les plus défavorisés en feront les frais. Une fois de plus. Et pour longtemps. Et les mécènes et amis dévoués se retireront doucement.
Car la relève ne reviendra que dans 50 ans, lorsque chacun pourra constater que les raisins de la colère des pauvres, une fois de plus, sont mûrs, et que tous les pouvoirs trembleront.
Après tout, le terrible séisme produit par les réfugiés envahissant l’Europe n’est-il pas déjà les prémices de ces temps de retournement des empires, ponctués par les horribles actes de terrorisme maintenant mondiaux?
Passons à plus crédible, mais plus triste aussi. Depuis quelques jours, j’ai déjà vu deux éditoriaux dans deux journaux différents, ainsi que plusieurs photos avec commentaires sur l’étonnante controverse sur le Bourquini, fait divers minuscule qui semble avoir choqué l’ensemble de l’Inde qui respecte et aime tant la France.
J’ose espérer que cela ne concerne qu’un quarteron de maires s’occupant plus de leur électorat sélect sur la Côte d’Azur…
Mais les éditoriaux en question soulignent pourtant que : «Ce n’est que l’aboutissement de la bizarrerie séculariste d’un pays qui a perdu ses sabots en refusant tour à tour les turbans des Sikhs, les foulards musulmans, tous les signes religieux sauf chrétiens» (là, l’éditeur se trompe puisque même les croix sont interdites si elles sont trop visibles, égalité oblige), la prière collective dans les rues et pour couronner le tout, tenons-nous bien, la nage avec un costume fermé ne révélant rien du corps sinon la face, qu’on appelle probablement par dérision bourquini.
Effectivement, on nous montre des photos sur les plages marocaines de femmes en bourquini, ce qui a choqué les intégristes musulmans, car seules les filles les plus progressistes ont osé porter ce costume qui révélerait quand même, paraît-il, les formes du corps.
Ainsi, voici que l’outrage est provoqué par des progressistes! Mais le bouquet, c’est que les maires affirment «qu’elles portent outrage aux mœurs républicaines et, tenons-nous bien, à sa morale», dont la culture est de révéler son corps sans fausse pudeur, habillé par un monokini, bikini, un seul kini voire rien du tout, mais surtout pas entièrement caché.
L’Asie considère la morale européenne (chrétienne dit-elle hélas !) comme immorale voire pire, amorale…
Une photo nous montrant des gendarmes obligeant une musulmane à se dénuder… les bras (sic) nous font revivre les fameux «Gendarmes de St-Tropez» d’hilarante mémoire dont, si je ne m’abuse, les yeux allaient ailleurs que sur les bras ! Chuuuut… morale hypocrite séculariste oblige!
L’Inde étouffe de rire mais s’en scandalise quand même car, sur nos 5000 km de plages, les Indiennes se baignent en saris, soit ne révélant rien ou soit vraiment peu.
Un journal propose d’interdire sur les plages de Goa et du Kerala les touristes occidentaux à moitié nus et le courrier des lecteurs abonde en ce sens.
L’Inde étant, contrairement à la France, un pays libre et ouvert, séculier, et permettant à chacun de se baigner comme il veut, sauf le nudisme (qui avait ouvert ses portes à Goa je crois) encore que le sannyasis (fakirs) hindous de Bénarès se baladent parfois sans rien et les Jaïns «vêtus de vent».
Donc, finalement, liberté absolue.
Je laisse aux Indiens la responsabilité de leurs jugements, mais je souligne quand même que la Haute Cour de Justice de Delhi avait décrété que « Notre tradition nous enseigne la tolérance. Notre philosophie prêche la tolérance, notre Constitution séculière pratique la tolérance et nous souhaitons que notre gouvernement ne dilue jamais cette tolérance ». Un vœu que je formule pour la France qui m’a tant donné.
Gaston Dayanand, Frère du Prado, laïc consacré du Prado, travaillant avec Dominique 1 et Dominique 2 Lapierre depuis environ 30 ans.
Approche spirituelle de l’action et de l’engagement auprès des plus pauvres par Gaston Dayanand
«Vivre avec et soigner les pauvres n’est pas suffisant pour devenir un Véritable Disciple. Il faut encore que l’esprit, et plus encore le cœur, soit totalement à Dieu, qui est d’une jalousie incroyable à ce sujet. »
Il s’agit d’apprendre à tout donner, et sans concession, et de suivre la Bible où Yahvé affirme : « Je discipline celui que j’aime».
Sainte-Thérèse d’Avila, qui n’avait pas sa langue dans sa poche, lui rétorquait : « C’est bien pour cela que tu as si peu d’amis ! »
Quand, un jour, Mère Teresa parlait de la nécessité de sourire toujours, même avec ceux avec qui on vit chaque jour, une femme pauvre lui demanda si elle était mariée. Elle répondit : « Oui, avec Jésus. Et je puis vous dire que, parfois, il est fort difficile de lui sourire, car il est toujours si exigeant.»
« Dans ces cas-là, je fais ce que je peux ».
Comme n’importe quel couple !
La vie n’est finalement pas si compliquée que cela.
On aime ou on n’aime pas.
Et si c’est le cas, on doit s’efforcer d’aimer plus.
Rien de moins embrouillé.
Le reste n’est que de la glose…. dont on peut finalement se passer…
Propos de Gaston Dayanand, laïc consacré du Prado, au service des pauvres en Inde depuis 45 ans.
Visitez le site de ICOD : http://icodindia.org/
Visitez le site de « La Cité de la Joie » de Dominique et Dominique Lapierre : http://www.citedelajoie.com/index.php3

L’analyse de notre ami Gaston Dayanand est si riche et si dense qu’elle mérite véritablement d’être imprimée pour être relue comme elle doit l’être, et conservée comme un trésor de pertinence.
Ne nous en privons pas !
Merci Gaston de nous offrir un décryptage du monde aussi aiguisé, adressé depuis le fin fond du district d’Howrah et du haut de votre si longue expérience de terrain. Sans le cœur, sans les mains, la pensée ne peut être qu’amputée et bancale, elle ne peut conduire qu’aux drames que nous voyons poindre. Retenons la leçon.
Catherine B Mâge, H.E.L.P. India
Incroyable article qui nous fait avancer si l’on ose comprendre !
Merci, je crois que les Hommes aiment le « compliqué », à quel prix ? Et qui pâtit de notre orgueil et notre amour du nombre ?!
Merci.
P Pouget