L’Histoire ne nous oubliera pas

De la mer Egée jusqu’au Sud de l’Italie en Mer méditerranée nous avons « construit » 
Un cimetière

Textes sélectionnés de Ricardo Montserrat.

Les artistes et les militants ont beaucoup de choses à faire ensemble… mais on se cantonne, les uns dans les divertissements de fin de semaine,  les autres dans des défilés dont la forme pourrait être repensée pour avoir plus d’efficacité politique.

Que vous avons-nous apporté,
Nous qui sommes entrés chez vous
Les mains vides,
Par vagues écumantes de colère
Mourant sur la plage du temps ?

Que vous avons-nous apporté
Nous, les perdants de l’histoire,
Les victimes de dictatures  politiques et économiques,
Aux valises pleines de désillusions
Et de rêves déchirés.

Que vous avons-nous apporté
Nous qui sommes,
Comme  le disait avec amertume
Un étonnant voyageur,
De plus en plus jeunes
Puisque ce sont les mêmes images,
Les mêmes mots,
Les mêmes mensonges
Qui sont utilisés pour qualifier
Nos foules de femmes,
D’enfants,
De frères,
Qu’on pousse
Vers les frontières de la mort ou de la soumission ?

Que vous avons-nous apporté
Nous qui, de la première,
La seconde ou la énième génération,
Sommes en exil

Que vous avons-nous apporté,
Hormis notre humanité,
Notre honte bue
Et l’honneur d’avoir résisté et survécu ?

Rien.

Toi  » l’espingouin  »
Qui es venu  » manger le pain des français « ,
Qu’as-tu donc apporté ?

Qu’ont apporté les méditerranéens ensoleillés,
Les orientaux safranés,
Les noirs hiératiques,
Les briseurs de mur,
Que vous ont-ils apporté à vous
Français que vous n’aviez pas déjà ?

Jusque dans les heures
Les plus noires de nos dictatures,
Dans l’ombre des camps,
Nous discutions Danton ou Robespierre,
Proudhon ou Tocqueville,
Sartre ou camus,
Barthes ou Foucault.

Nous vous avions rêvés
Dans nos camisoles élégantes,
A l’aise dans vos basques,
Ironiques et légers.
Nous vous avons donné nos foulards,
Nos soies, nos cotonnades,
Nos robes et nos chemises larges,
Nos boucles sur les épaules,
Nos transparences, nos sandales
Et nos culottes larges.

Nous vous avons apporté cela :
La sensualité des peaux dorées
Et les embrassades latines,
Des rires à gorge déployée
Et des fêtes intimes,
Le temps retrouvé,
Les jours heureux.

Nous vous avons apporté
La France que nous avions inventée
Dans nos geôles, nos déserts
Et nos chemins barbelés.

Nous ne sommes pas
Encore sortis de l’enfance de l’exil
Nos pères viennent à peine de mourir,
Nos mères sont assises
Sur une chaise devant la maison,
Le cœur chiffonné par la nostalgie,

Reste une bataille à mener,
Il reste une bataille à mener !

Cette bataille c’est celle de la paix.
Je dis bien celle de la paix oui !
De la paix ! Vous entendez !
Avez-vous bien entendu ?

Allez !

Résistez.

Vous n’imaginez pas.
Vous n’avez aucune imagination.
Vous êtes incapable d’imaginer
Que demain matin vous pourriez être obligé de quitter,
Tout ce que vous avez
Avec en plus le chagrin de n’être plus
De n’avoir plus…

Je ne sais pas nager.
Je ne sais pas nager.
Je ne saurai jamais.
Ceux qui savent nager
Meurent plus lentement,
Mettent longtemps à mourir
Vous comprenez ?

Je me souviens avoir attendu
Des semaines entières
Entre le désert et la mer

Vous êtes incapable d’imaginer

Qu’on aime pas votre nom,
Votre couleur, votre culture,
Votre langue, votre sexualité

Comment imaginer
Qu’une  nuit,
Des hommes
Entreront dans votre maison,
Violeront votre femme
Et vos enfants,
Vous tortureront, rançonneront,
Enlèveront, enterreront ?

Chaque fois que vous prendrez la route,
Votre voiture sera  arrêtée
Des jours entiers à des check-points,
Ou criblée de balles.

Vous n’imaginez pas cela possible en France.

Mais vous avez la mémoire courte.
On ne vous a jamais raconté,
Jamais montré les images
De ces dizaines de milliers d’étrangers,
Qui vivaient en France depuis des années,
Travaillaient chez Renault,
Dans les mines, le textile, ou la métallurgie,
Qu’on a renvoyés par trains entiers

De ces bidonvilles aux portes de Paris ou de Roubaix,

Vous avez oublié

Bien sûr, personne ici n’a pris le bateau
Pour tenter de refaire une vie,
Une famille, un pays, une communauté,
Avec l’espoir chevillé au corps
De revenir un jour.

Non, en France, on ne fait pas ça,

En France, on meurt debout ou assis.
On meurt en vie.
On attend le RMI , le RSA,
L’allocation, une place au foyer-logement.

Qu’avez-vous  fait de notre mer méditerranée,
« Le berceau de la civilisation européenne »,

Une mer de la honte !

Mais dites-vous bien que de toute éternité, notre histoire est votre histoire.

Vous aurez beau essayer de la  noyer dans l’eau saumâtre,

Le sang ou l’oubli, elle restera aussi votre histoire.

                                                                                              Ricardo MONTSERRAT

3 thoughts on “L’Histoire ne nous oubliera pas

  1. Tout est dit là. Comment faut-il se le répéter encore? Merci au poète et merci au voyageur de donner de la voix à ceux dont le voyage est un cri d’alerte.

  2. Ce texte est magnifique et criant de vérité. Quand comprendrons-nous que l’Homme est juste Homme et que nos acquis ne sont pas infini dans le temps ? Les frontières physiques et morales ne devraient pas entrer en compte quand il s’agit de vie ou de mort d’Autrui…
    Merci à ce texte d’être « éveillant » et merci à toi de nous l’avoir fait découvrir.

  3. se texte est pleine de vérité ;pleins d emotions
    comment rester insensible a ses personnes ;qui souffre d etre rejetées par d autres humains;si cela nous arrivaient….?
    Comme l a ecrit mère Thérèsa :

    la seule maladie qui ne peut se guérir
    est la maladie de ne pas se sentir AIMé

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