
Dans le dernier “En Direct de Kavali n° 11” de mars 2016, j’écrivais : “En 2005, avec Sambu, nous avons parcouru des milliers de kilomètres en Inde, AP, TN, Karnataka pour savoir et connaître l’ampleur de la tragédie VIH/SIDA afin de voir ce que nous pouvions faire. Nous ne doutions pas une seconde, qu’avec les autres organisations et le gouvernement, nous allions pouvoir enrayer le drame. Onze ans plus tard, nous nous trouvons face à un déni national et international épouvantable et un échec quasi-total de la lutte contre le VIH/Sida en Inde. Des millions et millions d’Indiens qui auraient pu être sauvés sont morts. Terrible constat, dans ce domaine, comme tant d’autres drames humains, tout le monde triche et ment, y compris à soi-même, c’est dramatique. Entrer dans les détails nécessiterait des pages et des pages. Un travail inutile qui, de toute façon, ne serait pas entendu. Devant ce constat d’échec et de déni, la question est clairement posée : devons-nous arrêter notre travail social alors que nous savons que rien de nouveau ne se passera dans les dizaines d’années à venir, rien d’autre que le déni mondial face aux drames de notre humanité ? Depuis deux ans, avec toute l’équipe en Inde, nous planchons sur cette question, sachant que continuer est une goutte d’eau qui ne changera strictement rien au drame : des millions de morts pourraient être évitées. Avons-nous le choix ? Pouvons-nous abandonner à leur sort les quelque mille personnes que nous suivons, sachant que, si nous le faisons, elles mourront ? “

Se poser les questions, n’est-ce pas déjà y répondre ? J’ai écrit ce texte en février 2016 : avec tout le staff d’H.E.L.P. India, nous venions de “plancher“ durant des mois sur la réalité de cette terrible situation qu’est le VIH/SIDA en Inde. Nous sommes arrivés à la conclusion que nous n’avions pas d’autre choix que de continuer, en essayant d’être présents pour les centaines de personnes qui nous font confiance depuis plus de dix ans. Depuis cette publication, deux mois se sont écoulés : avec l’équipe, j’ai continué d’analyser nos résultats et la situation face à la pandémie.
Le gouvernement fait le minimum : une seule remise d’ARV, de première génération, pas toujours disponible, pas de tests de charges virales et de résistance (ou si peu), encore faut-il être sélectionné et faire plus de 1000 Km. Il n’y a aucun suivi sérieux, de très nombreuses ruptures de stocks, des tests de dépistage, ARV, de kits pour les tests CD 4.

Depuis dix ans, j’ai souvent écrit et dit que les chiffres du nombre de personnes infectées donnés par l’Inde et les organismes internationaux étaient faux et manipulés. Il y a dix ans, on admettait 6 millions de personnes infectées. Aujourd’hui, alors qu’on ne réalise plus de statistiques officielles, on parle de 2 millions… et on se félicite du résultat ! De par notre expérience de terrain, nous pouvons affirmer que le nombre de personnes infectées en Inde, sur une population de 1300 millions, doit se situer dans une fourchette de 15 à 20 millions de personnes porteuses du virus, soit un taux de prévalence compris entre 1.1 % et 1.5 %.
Une épuration naturelle…
Sur l’ensemble des cas traités et suivis par le gouvernement, le taux d’échec est énorme. Ma conviction est que les instances indiennes, appuyées par les organismes internationaux de tous ordres, se sont entendus pour ne pas présenter une image réelle de la situation. Les moyens qu’il faudrait investir pour faire face à l’épidémie sont tellement importants qu’ils remettraient en cause la marche en avant vers la mondialisation/globalisation de l’Inde, qui fait l’impasse sur des millions de personnes, dans ce domaine comme dans d’autres. Une épuration naturelle ! Il faut avoir vécu “le terrain“ pendant plus de dix ans, en Inde profonde, pour oser avancer de tels propos.
Examinant en détail les dossiers des 1000 personnes que nous suivons, et malgré les moyens que nous y mettons, nous nous apercevons que nous sommes en échec. Un nombre important de ces personnes sont en survie et vont disparaître dans les quelques années à venir, par échec du suivi et du traitement, mais aussi par manque de moyens nous permettant d’effectuer toutes les analyses qu’il serait nécessaire de réaliser. Plus d’une génération va être, en partie, sacrifiée sur l’autel de la pensée unique et de la globalisation, avec la bénédiction, le faux déni, de celles et ceux qui savent et ont décidé de faire un service minimum. De faire semblant de traiter le problème.
Il en est dramatiquement de même dans des domaines comme celui de la tuberculose où l’Inde se trouve en échec face à cette maladie, alors que tous les médicaments existent depuis le début des années 1950. Des organismes de type OMS diront que la TB est en régression, ce qui reste à voir. Mais comment expliquer que tant de personnes meurent par milliers de la tuberculose en Inde et ailleurs en 2016 alors que tous les traitements existent ? (TB : un mort toutes les 20 secondes, 1,7 million de décès chaque année, plus d’un tiers de la population mondiale infectée,…).
Pour l’Inde et le Sida, c’est la même chose : en 2007, le premier ministre indien de l’époque avait osé dire que “le VIH/SIDA était la seconde priorité nationale du pays après la dépendance énergétique“. Peu de temps après ce discours prononcé le jour de la Fête Nationale, plus personne ne parlait du Sida, on avait dû rappeler à l’ordre ce premier ministre qui parlait vrai (VIH-SIDA : un mort toutes les 30 secondes, 6800 nouvelles infections chaque jour… et ce sont les chiffres officiels dont l’expérience m’a tellement appris à me méfier).

La vérité masquée
J’affirme que l’Inde, mais aussi les organismes internationaux, mentent et masquent la vérité pour ne pas faire face à l’épidémie et mettre en place les moyens nécessaires. Il faut vivre le terrain au quotidien pour le voir et le comprendre. Combien de grandes organisations n’ai-je pas visitées en dix ans, en Inde, en France, aux USA, y compris l’ONU/SIDA ? On nous écoute religieusement (et encore !) mais, rapidement, on dérange…
Comment un pays dit “riche”, comme la France par exemple, peut-il avoir une idée ou s’intéresser au VIH/SIDA en Inde ? C’est mission impossible, il faut connaître le contexte social et géopolitique pour cela. L’approche du sida en pays riches et en pays pauvres ne peut, en aucun cas, être comparable, ce sont deux mondes totalement différents, deux maladies différentes dans leur approche, même si le virus est le même.
Revenons à la question posée en titre, “Déni ou échec ?” : la réponse est “les deux” ! Tout en retenant qu’un déni entretenu n’en est plus un, c’est un mensonge qui, avec le temps, peut devenir un déni. Et ce déni, ou ce mensonge, favorise un échec voulu et contrôlé par les argentiers et les statisticiens qui hypothèquent la vie, par millions, de nos concitoyens.

Pour faire face à la pandémie du VIH/SIDA, sans une volonté et un désir national et international de tous les pays, il n’y a pas de solutions. Tous les pays se sont mis d’accord pour donner l’impression que l’on fait quelque chose mais, en réalité, on planifie que cette maladie s’éteindra d’elle-même par la mort de plusieurs dizaines et dizaines de millions de personnes. Cette attitude se confirme dans les laboratoires de haute technologie qui, depuis longtemps, auraient pu trouver un vaccin et des remèdes mieux adaptés pour les pays pauvres. Mais quel intérêt aurait le lobby pharmaceutique d’investir des sommes énormes pour trouver un vaccin destiné à des pays qui n’auront pas les moyens de le payer ? La pandémie étant enrayée dans les pays riches, il n’y a donc pas lieu d’investir et on laisse faire la nature… Ainsi disparaîtront plusieurs millions de personnes avec l’espoir que la maladie s’éteindra d’elle-même. Si la pandémie n’avait pu être enrayée par les ARV dans les pays riches, il y a longtemps que le vaccin aurait été découvert.

Un système à deux vitesses
Il existe deux VIH/SIDA, un dans les pays pauvres et un dans les pays riches. Ils ont la même origine mais pas les mêmes conséquences. Lors de mes retours en France, je suis toujours étonné de constater que les spécialistes VIH/SIDA, ONG ou autres, ne connaissent pas et ne peuvent pas entendre la problématique des pays pauvres. Et pourtant, la réponse est simple : si on a pu endiguer l’épidémie dans nos pays riches, pourquoi ne pas le faire dans les pays pauvres ? Tout simplement parce que le monde ne veut pas mettre les moyens nécessaires (tous les pays riches possèdent un retard énorme sur les sommes promises à l’ONU-SIDA pour faire face à la crise, certains pays dans des proportions abyssales).
Prenons un exemple : pour bien suivre une personne infectée, il faudrait régulièrement effectuer un test de charge virale, ce qui est fait dans les pays riches. En Inde, ce n’est quasiment jamais le cas. Avec un laboratoire et un hôpital français, nous avions trouvé une solution “magique” et formidable : nous récoltions en Inde le sang prélevé sur des tests buvards (voir photo), ces tests étaient ensuite expédiés par avion en France. Cela nous permettait d’avoir les résultats rapidement, en temps réel, et ainsi de commencer par adapter les traitements. Le laboratoire ne nous a plus fourni, l’hôpital n’a pas pu suivre. Et aujourd’hui le laboratoire nous assure que ces tests ne sont plus trouvables autrement que chez une société injoignable ! Pourtant, ce test instauré de manière généralisée dans les pays touchés serait et ferait un miracle. J’y ai cru, jusqu’à ce que je comprenne que cette démarche de vouloir penser à l’entraide internationale allait à l’encontre des intérêts économiques et sociaux des financiers, des pouvoirs et de la marche du monde et de ses lobbys. Ce serait pourtant tellement facile à mettre en place avec les moyens de communications qui existent aujourd’hui : cela fait plusieurs décennies que les USA font lire leurs IRM, ou autres examens, par sous-traitance en Inde, alors que la très grande majorité des Indiens n’ont pas accès à ces IRM.

Un autre exemple : j’ai eu l’occasion de visiter plusieurs hôpitaux et laboratoires en France, qui possèdent souvent une machine de charge virale ou d’autres machines permettant des examens pour quelques centaines de personnes infectées. A l’endroit où nous sommes, il y avait encore récemment une machine de charge virale et une autre machine de test de résistance pour 80 millions d’habitants et une population infectée de 700 000 personnes (la France compte 150 000 personnes infectées). Je suis certain que tous les hôpitaux (CHR, CHU,…) sont équipés de ces machines. Il serait intéressant de connaître le nombre de machines à tests de CV ou de résistance qui existent en France pour le nombre de personnes infectées… et de comparer avec l’Inde ou l’Afrique : sans commentaires !
Oui mensonge, oui déni, oui déni entretenu, oui ECHEC, mais échec de quoi?
ECHEC des relations humaines car, dans le domaine du VIH/SIDA, tout comme pour d’autres fléaux, SEULES une volonté, une entraide internationale fraternelle, permettraient de sauver des vies. Cette volonté est absente, tant chez les dirigeants que chez les populations des pays qui “possèdent” et à qui on a appris à être de plus en plus repliés sur eux-mêmes.
Alors, qu’allons-nous faire dans un tel contexte ?
Nous savons que notre rêve réaliste, qui était de voir la pandémie prise en charge sérieusement par le gouvernement indien, était une utopie et que les choses resteront en l’état. Nous savons que suivre correctement nos amis patients est impossible. Nous savons que nous ne disposons pas des moyens, dans tous les domaines, pour apporter une solution aux 1000 patients que nous suivons. Alors quoi faire ?
Les abandonner à leur sort ? Est-ce humain ? Continuer ? Oui mais alors pour quoi faire ?
Nous allons continuer d’être présents et faire de notre mieux pour accompagner leur calvaire programmé et voulu par d’autres. Quelques-unes ou quelques-uns auront la chance de bénéficier d’un bon suivi. Pour les autres, nous nous limiterons à ce que nous pourrons faire. Qu’il est douloureux de savoir, de voir et de ne rien pouvoir faire, tout en sachant que les solutions existent ! Nous vivons souvent des miracles en remettant sur pied des personnes aux portes de la mort, ce terrible sida permet d’assister parfois à des résurrections. Mais qu’il est terrible de savoir que la totalité des gens, ou presque, pourrait être sauvée, mais que des millions d’entre eux vont mourir par l’indifférence de ceux qui vivent. Dans une situation difficile, nous arrivons à suivre une personne et à lui apporter de quoi vivre normalement pour un coût total mensuel de 10 euros par mois. Une somme dérisoire pour un occidental moyen ! S’ils savaient les miracles que l’on peut faire où nous sommes avec cette somme !
En étudiant le cas des 1000 personnes dont nous nous occupons depuis dix ans, nous nous apercevons qu’une grande partie de cette population en survie est condamnée. Même si nous enregistrons aussi des résultats exceptionnels de réussite vu le contexte, beaucoup se trouvent en échec thérapeutique et nécessiteraient des soins, des investissements et des moyens que nous n’avons pas. Nous voyons de plus en plus de personnes “partir“, dont de jeunes enfants orphelins qui ne sont suivis par personne et qui meurent entre 10 et 20 ans.

Qu’en est-il des nouvelles infections par VIH ?
Pas de réponse ! Tout ce qui est dit par les organismes assermentés est faux. En Inde, il n’y a aucune prévention depuis des années et nous rencontrons de plus en plus de jeunes infectés, soit par les parents, qui ne les avaient pas testés, soit lors de rapports sexuels non protégés.
Nous allons continuer d’aimer, d’aider avec nos bouts de ficelle… et de vider “l’océan de misères” avec notre petite cuillère…
Il me faut conclure sur ce terrible constat. Comment aller chercher une motivation alors que nous savons que celles et ceux que nous suivons, et avec qui nous vivons notre quotidien, sont en danger de mort alors que les moyens existent pour les sauver ?
Nous trouvons notre motivation dans le refus d’abandonner et l’appel intérieur à rester présents en amour près de celles et ceux pour qui nous nous sommes engagés il y a dix ans.

Tous les jours, nous sommes de plus en plus certains que les solutions majeures aux problèmes majeurs de notre temps ne peuvent être que collectives, à un niveau international, par les dirigeants et les peuples qui seraient guidés par une motivation de fraternité. Ne sommes-nous pas toutes et tous des habitants de ce tout petit globe qui s’appelle la Terre ? Ne devrions-nous pas nous entraider, nous aimer fraternellement, pour répondre aux drames de la vie, s’aimer et s’entraider au lieu de faire cavalier seul, repliés sur notre pré carré, que ce soit notre pays, notre jardin ou notre petite maison ?…
La seule réponse aux problèmes est d’ordre mondial. Les financiers l’ont compris en se remplissant les poches par une démarche mondialiste, jouant des peuples et des populations qui se laissent mener en en ne recevant que les miettes que ces mêmes financiers veulent bien leur laisser (62 personnes détiennent autant que la moitié des habitants de la planète !).
Dramatique constat, dramatique réalité, sur laquelle j’aurai l’occasion de revenir, avec d’autres drames, où les conséquences, les causes et les solutions sont les mêmes.
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